En cette veille du Réveillon de Noël, je vous propose une nouvelle que j’ai écrite sur le sujet … A déguster sans modération !!!
Hôtel de Ville
Sophie, Charlotte, Emma et Emilie sortent précipitamment du Starbucks des Halles. Il est presque 19 H 00, les quatre amies n’ont pas vu l’heure passer. Elles ont rendez-vous avec leurs familles respectives pour fêter le réveillon du 24 décembre.
Certaines ont un peu de trajet, d’autres ne sont pas très pressées de rentrer. Il y a un monde fou sur le quai de la station Châtelet. C’était l’idée de qui, déjà , de prendre un dernier café avant de se quitter pour quelques jours seulement ? Elles laissent passer une rame, puis deux, puis … à la troisième, Sophie prend les choses en main et de manière autoritaire, certes, poussent les trois demoiselles dans le métro. Une chance, celui-ci est moins bondé que les précédents. Emilie profite de l’accalmie, toute relative, pour compter ses paquets. Zut, il en manque un. Son préféré, celui de chez Sephora, celui avec son rouge à lèvres, le Chanel rouge velvet ! Emma, se dévoue pour fouiller avec elle chaque sac des dizaines de boutiques visitées, au cas où … Les deux jeunes filles sont accroupies au milieu d’une population, soit totalement indifférente, soit intriguée, soit moqueuse. Emilie sent la colère monter en elle, ses yeux se brouiller, c’était le cadeau de sa mère. Sophie se dit « Ça y est, elle est partie ! ».
Les portes se referment au moment même où Charlotte aperçoit un sac Sephora par terre, au milieu du quai, que les passants piétinent allègrement. Elle jette un œil vers une Sam désespérée et décide de ne rien dire. Une petite mamie aux cheveux rouge auburn lui sourit. Elle aussi, elle a vu.
Le métro démarre avec un soubresaut qui surprend tous les occupants. Emma se retrouve par terre, Sophie écrase le pied d’un jeune assis, vêtu d’un jogging blanc et de Nike assorties, à l’origine, mais grises pour un pied dorénavant. Elle s’excuse platement, il la fusille du regard mais se tait. Une fillette de quatre ans, tout au plus, s’affale de tout son long sur les paquets de Emilie. Cette dernière est sur le point de réagir lorsque Charlotte lui pose une main sur l’épaule pour la calmer instantanément et l’autre sur le bras de la petite qui s’est mise à pleurer, pour la remettre debout. Les parents ne sont pas loin, elle se rue dans les bras réconfortants de sa maman, qui bredouille, gênée, un « merci » à peine audible à la jeune fille. Le père est encombré par un sapin enveloppé dans son filet blanc.
La station Hôtel de ville apparaît, péniblement, à travers la fenêtre. Le métro s’arrête. Mais, les portes ne s’ouvrent pas. Un quadra en costume trois pièces, vraisemblablement pressé, actionne frénétiquement le bouton de la porte. Rien n’y fait. De rage, il donne un coup de pied dedans. Sophie sursaute et tente de prendre un peu de distance. Le microphone grésille. Un incident technique. Des murmures, puis des voix plus fortes envahissent l’habitacle. Un brouhaha s’élève jusqu’à devenir insupportable. Les portes sont irrémédiablement closes. La tension entre les voyageurs est palpable. Le soir du réveillon de Noël. Impossible !
De nouveau le microphone qui annonce que l’incident technique est un incident électrique. Effectivement, le wagon se retrouve dans le noir total. Heureusement la station éclaire un minimum les passagers. Cinq minutes, puis dix, puis, …. Trente minutes s’écoulent.
Les plus chanceux sont concentrés sur leur téléphone portable. Les appels fusent vers conjoint, parent, ami. Les autres patientent. L’inquiétude pointe son nez. Charlotte propose à la vieille dame aux cheveux rouge de lui prêter son appareil pour passer un coup de fil. Elle accepte bien volontiers mais ne sait pas s’en servir. Alors la jeune fille compose elle-même le numéro. De part et d’autre, la solidarité s’organise. Le jeune au jogging se lève pour laisser sa place à une femme très enceinte, proche du malaise. Une famille de touristes, les parents et deux garçons d’une dizaine d’années, essaie d’obtenir des informations auprès de leurs voisins les plus proches. La barrière de la langue est imparable. Sophie qui maitrise suffisamment l’anglais se rapproche discrètement de leurs places et leur explique qu’ils sont bloqués pour une durée indéterminée à cause d’une panne électrique. Les deux adultes hochent la tête. Ils ont compris !
Dépitée et affamée, Emilie fouille parmi ses nombreuses emplettes et sort un paquet de biscuits. Des « custard creams », ses préférés. Elle en offre un à la petite fille inconsolable sur les genoux de sa maman. Emilie est accueillie par deux sourires éblouissants. Dans sa lancée, elle fait tourner le paquet.
Un jeune couple, à proximité, sort un paquet de chips goût barbecue, des tomates cerise et des tucs. La mamie aux cheveux rouge se rapproche d’eux et sort de son caddy des jus de fruits et des gobelets. Elle explique alors qu’elle s’occupe d’une association venant en aide à des personnes seules et que ce soir, elle était chargée des boissons. Une sexagénaire se mêle à la discussion et propose de monter la petite table en bois qu’elle vient tout juste d’acheter. Ce sera, en effet, plus pratique pour y déposer les différentes denrées. Trois jeunes lycéens prennent l’initiative de s’occuper du montage. Ils déposent leur sac à dos et se mettent à l’œuvre.
À l’autre bout du wagon, les choses s’organisent également, par contagion, sans doute. Un couple de retraités déballe ses courses sur un tréteau improvisé par deux ouvriers ingénieux, recouverts de plâtre. Une jeune métisse détache un foulard de son cou et le place sur la planche en guise de nappe. Du saumon fumé, des blinis, de la crème fraiche, des citrons garnissent le tissu comme par enchantement. Un vieux monsieur ajoute une terrine de foie gras et un vin blanc moelleux. Un couple de chinois, jusque-là très discret, dépose des couverts en métal argenté et un tire-bouchon.
Les américains sont médusés.
Le jeune papa a alors une idée lumineuse. Il sort un couteau suisse de sa poche pour libérer le sapin de son carcan. La future maman se lève pour apporter des boules décorées de sujets en rouge et blanc. La petite fille, réconciliée avec la vie, prend beaucoup de plaisir à les placer harmonieusement dans l’arbre. Sa maman lui donne aussi des guirlandes pour compléter. Emma dépose une crèche avec tous ses sujets tout en bois au pied du conifère. Les étoiles sortent des yeux de la fillette.
Les adolescents ont terminé leur besogne. Un nouveau miracle se produit. Sophie sort la bûche de Noël et la mamie des assiettes en carton. Et les petites cuillères ? Il y en a là -bas, le couple d’asiatiques a tout ce qu’il faut ! Charlotte va en récupérer. Au passage, elle pioche dans le paquet de chips en échange d’un clin d’œil. Le jeune en jogging est silencieux et absorbé par son téléphone portable. Tout à coup il bondit comme un diable hors de sa boite et brandit l’appareil, le son à fond. Tino Rossi et son Petit Papa Noël retentit ! La vieille dame a les larmes aux yeux. L’émotion et tant de souvenirs ressurgissent.
Sophie, Charlotte, Emma et Emilie chantent le refrain à tue-tête. L’ensemble du wagon les accompagne. Même les américains sont debout et entonnent, à leur façon, l’hymne national de Noël !
C’est alors que les touristes sortent les « Christmas crackers » de leur emballage et les distribuent au hasard. Sophie leur sert d’interprète pour expliquer à ceux qui l’ignorent le fonctionnement de cette coutume outre-Atlantique. Tout à coup, un bruit sourd, comme une détonation, un cri strident poussé … les voyageurs sont tétanisés ! Le quadra en costume trois pièces est confus … il vient d’ouvrir une bouteille de champagne !
La fête bat son plein. Des petits groupes se sont formés, par affinités, par proximité, par timidité, par hasard. On chante, on danse, on gesticule, on passe le temps !
Puis le microphone se met en marche. En vain ! Personne n’entend la bonne nouvelle. Les portes s’ouvrent dans une indifférence totale. Il est 22 H 00 ou presque. L’hôtel de ville se remplit.
Sandrine PEREZ PERICHON